Kein Licht de Philippe Manoury : un capharnaüm coloré à l’Opéra du Rhin
Les premières minutes du spectacle intriguent. On y voit un jack-russell aboyer doucement sur scène dans un environnement électronique, comme si l’Ircam avait imaginé un concerto pour toutou en temps réel. L’apparition du texte de Jelinek gâte un peu les choses. L’univers du prix Nobel autrichien est certes radical, mais on peut aussi en critiquer la misanthropie, le style très métaphorique et les jeux de mots abscons. L’action se déroule le 11 mars 2011, soit le jour de la catastrophe de Fukushima. A la manière de Marguerite Duras et de Resnais avec Hiroshima, les auteurs de ce “thinkspiel” (Jelinek, Manoury et le metteur en scène Nicolas Stemann) tentent une sorte de “Fukushima, mon amour” dans lequel les comédiens se demanderaient à eux-mêmes : « Tu n’as rien entendu à Fukushima ? ». Prenant prétexte d’un concert joué le jour même du tsunami, Jelinek creuse le rapport entre l’irradiation de l’océan et le silence occidental face à la catastrophe. Mais en lieu et place d’une salutaire réflexion écologique, Kein Licht aboutit à une simple mise en abyme de la crise de la musique contemporaine, comme dans une pièce de théâtre musical des années 1960.
A ce texte sentencieux, s’ajoute une dimension plus improvisée due au metteur en scène Nicolas Stemann. Multipliant les adresses au public et échos à l’actualité (Areva, Nicolas Hulot…), les deux comédiens (Caroline Peters, Niels Bormann) abusent de tics scéniques et corporels vus et revus dans le théâtre allemand depuis une vingtaine d’années, avec cerise sur le strüdel, une allusion aux petites femmes de Pigalle et à Paris “ville de l’amour” pour reprocher ironiquement aux Français leur passion inconsidérée des centrales nucléaires. Tout cela pourrait être gentiment subversif si le message n’était pas aussi lourdement moralisateur et d’un effarant paternalisme.
Bizarrement, dans ce capharnaüm coloré, et en attendant la reprise du spectacle à l’Opéra-Comique en octobre, le seul élément brillant est la musique de Manoury. Le compositeur français trouve dans ce catalogue d’idées tour à tour stimulantes, prétentieuses ou maladroites de quoi poursuivre ses réflexions sur l’informatique et la spatialisation du son. D’un mélodisme et d’une pureté de trait inédites, l’œuvre propose des ensembles vocaux straussiens (Sarah Maria Sun, Olivia Vermeulen, Christina Daletska, Lionel Peintre), d’envoûtants habillages électroniques (Ircam) et instrumentaux (United Instruments of Lucilin dirigé par Julien Leroy) dans une optique volontiers expérimentale. A 65 ans, Philippe Manoury est en pleine forme, comme le confirmera le lendemain, l’interprétation, toujours dans le cadre du festival Musica, de sa grande pièce Ring pour orchestre spatialisé. Trente minutes de musique excitantes qui jouent des possibilités offertes par les nouvelles salles philharmoniques, dirigées de main de maître par François-Xavier Roth à la tête de son orchestre du Gürzenich de Cologne. (22 et 23 septembre)
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